BOUTIQUES (DÉCOR DE)

BOUTIQUES (DÉCOR DE)
BOUTIQUES (DÉCOR DE)

BOUTIQUES DÉCOR DE

Le décor de boutiques a fait son entrée officielle dans le domaine du patrimoine national français depuis qu’en 1983, à l’initiative de la Direction du patrimoine du ministère de la Culture, une centaine de boutiques parisiennes ont fait l’objet d’une opération collective d’inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Auparavant, seules les enseignes faisaient l’objet de tels soins, ainsi que quelques cafés ou restaurants célèbres; mais les devantures à coffrage, les grilles de boucherie, les boiseries intérieures des pharmacies, les plafonds à fixés-sous-verre des boulangeries et leurs grilles à pain, les décors de faïence des crèmeries ou de certains cafés début de siècle, les comptoirs en marbre des charcuteries, les verres gravés, les céramiques, les miroirs, les lambris, les impostes, tout cela était laissé à l’arbitraire des rénovations ou, au mieux, aux initiatives privées de quelques amateurs, soucieux de récupérer ou, au moins, de recenser ces éléments d’une culture urbaine. C’est ainsi, notamment, qu’eut lieu en 1977, organisée par le musée des Arts et Traditions populaires, la première exposition consacrée au sujet.

Bien qu’il puisse paraître incongru, aux yeux de l’usager, d’acheter son pain ou son fromage dans un monument historique (la petite boutique de quartier qu’on a toujours connue correspondant mal a priori à un tel concept, spontanément associé au château, à l’église, au palais), une telle mesure s’imposait dès lors qu’on décidait d’ouvrir le champ des monuments historiques à ce qu’on a appelé le «nouveau patrimoine», défini non plus seulement en fonction des valeurs artistiques ou esthétiques traditionnelles, mais aussi grâce à des critères historiques, voire ethnologiques, qui englobent les témoignages d’une «culture», au sens large: gares, usines, machines, etc.

Or la boutique, témoin privilégié du décor de la vie quotidienne en milieu urbain, représente en outre, dans les cas les plus remarquables, un marqueur historique du savoir-faire et des styles artisanaux, parfois perdus. En effet la boutique à décor, dont les plus anciens vestiges remontent au XVIIIe siècle (quelques-uns sont conservés à Paris au musée Carnavalet, tandis que le Metropolitan Museum de New York fut le premier à en acquérir un), témoigne de l’évolution des techniques de vente, marquée par une intériorisation progressive: de la devanture où étaient exposées et vendues les marchandises, au magasin où elles étaient entreposées et où, peu à peu, se concentrera la vente. C’est sans doute ce processus qui rendit nécessaire une signalisation plus soignée ou plus prestigieuse des devantures (dès lors que les marchandises ne les occupaient plus tout entières) ainsi qu’une véritable décoration intérieure. Les ateliers spécialisés dans le décor commercial — enseignes, peintures sur stores et sur bois, fixés-sous-verre, coffrages, etc. — se développèrent surtout dans le courant du XIXe siècle (on peut encore consulter leurs catalogues à la bibliothèque du musée des Arts décoratifs ou à la bibliothèque Forney à Paris). Des constantes stylistiques se dégagent ainsi à chaque époque: les coffrages de bois de l’époque Directoire (comme par exemple la chocolaterie du 30, rue des Saints-Pères) ou de l’époque Restauration (dont un bel ensemble subsiste autour du 13, rue du Cherche-Midi), les fixés-sous-verre du second Empire, les céramiques de la Belle Époque, ou encore les panneaux de marbre des années trente, malheureusement victimes de destructions massives.

Cette question de la destruction suggère à quel point sont pertinentes les mesures de préservation: malgré l’absence de statistiques sur le sujet, on a pu estimer que dans les années soixante-dix, environ 1 500 fonds de commerce étaient rénovés chaque année à Paris, sur un total avoisinant 60 000. Ces rénovations sont appelées aussi bien par la vétusté des matériaux que par l’indifférence à leur valeur stylistique, par des stratégies d’ostentation commerciale ou encore par les choix de décorateurs pas toujours scrupuleux. Or elles respectent rarement, faute sans doute de la prise de conscience esthétique adéquate, des décors traditionnels qu’il paraît souvent plus facile de démolir entièrement (quitte à en revendre des éléments, qui finiront au marché aux Puces ou même en salle des ventes) que de réparer ou de restaurer.

C’est en ce sens que l’aide des pouvoirs publics peut s’avérer précieuse, à travers une mesure administrative qui, subordonnant toute décision de modification à l’accord des architectes des monuments historiques, offre en contrepartie des subventions pour les travaux nécessaires. Mais cette initiative — outre l’énorme travail de prospection préalable qu’elle nécessite, afin de sélectionner les boutiques intéressantes — se heurte à plusieurs obstacles. D’une part, en effet, les commerçants ne voient pas toujours d’un bon œil ce qui peut apparaître comme une intrusion de l’État dans leur patrimoine familial, même si le caractère relativement «public» d’une boutique qui ouvre sur la rue et qui contribue à en dessiner le décor peut justifier un droit de regard de la communauté. En outre, les impératifs de la rénovation ne sont pas seulement fonctionnels ou commerciaux, mais aussi esthétiques, dans la mesure où l’innovation et la recherche en matière de décoration urbaine doivent également pouvoir trouver leur place. Cela soulève enfin la question des critères de sélection des boutiques à préserver: critères de l’ancienneté ou de la représentativité (au nom duquel on a pu classer, par exemple, un café des années cinquante), de la rareté ou, au contraire, de la série. Ce ne sont là que quelques-uns des problèmes posés par cette introduction des boutiques à décor au sein des monuments historiques — disposition initialement conçue comme le préalable à une extension de ces mesures à d’autres boutiques parisiennes et provinciales — qui permet à la fois un début de préservation d’une tradition urbaine et une intéressante re-définition de la notion même de patrimoine.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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